de
M.-J. CHALLAMEL et Marie THIRION
Je
suis tombée sur ce livre par hasard en fouillant la bibliothèque de mes
parents. J’ai été attirée par le sujet (eh oui, à 20 mois, notre fille Jeanne
tète au moins 2 ou 3 fois par nuit, notre « itinéraire-sommeil » a donc
été rempli de questionnements) et le nom de Marie Thirion m’a tout de suite
évoqué son livre sur l’allaitement (L’allaitement,
de Marie Thirion, Editions Albin Michel), qui est une référence en la matière
car très clair, bien expliqué, idéal
comme cadeau pour une future maman. Je me suis donc plongée dans cet ouvrage
publié en 1988 aux éditions Ramsay. Il a depuis été réédité chez Albin
Michel ; il y a même une version très récente (2011) additionnée des
« dernières connaissances scientifiques » et je serais d’ailleurs curieuse
de comparer les deux… Mais celui que j’ai eu entre les mains avait une
couverture vieillotte sur laquelle on peut voir un enfant d’environ deux ans dormir
avec son lapin en peluche et je me suis dit : « Tiens, c’est chouette
que mes parents aient ce bouquin, ça a l’air d’être un livre de puériculture de bon conseil,
qui sort du lot. » J’étais fière de ma mère qui s’était bien renseignée
avant son achat livresque. C’est donc pleine d’a priori positifs sur l’auteure, qui, bien que pédiatre, fait la
promotion de l’allaitement, que j’ai entamé ma lecture.
La
première partie, intitulée « Neurophysiologie du sommeil », m’a
passionnée. Même si les données datent des années 1980 et que les avancées dans
ce domaine ont dues être fulgurantes, les auteures explicitent des notions
fondamentales comme les rythmes circadiens
(les
cycles influencés par l’alternance jour/nuit), les horloges biologiques et les phases du sommeil du nouveau-né, de l’enfant, de l’adolescent
et de l’adulte. J’ignorais par exemple qu’un certain nombre de nos paramètres
vitaux – température, pression artérielle, sécrétions hormonales, etc –
changent selon les moments de la journée et ce, chez tous les humains. On
gagnerait beaucoup en efficacité à suivre ce rythme naturel qui se découpe
ainsi : les phases d’éveil actif sont (à peu près) entre 5h et 8h du matin
puis entre 17h et 20h. Or, dans nos sociétés occidentales, ces périodes
correspondent à des phases de repos ou d’empressement à des activités
superficielles (se préparer au travail, faire les trajets
domicile-école-travail, préparer les repas…). On rate notre pic de performance
physique et intellectuelle et nos enfants aussi en allant à l’école. Nous
sommes déphasés.
La
description des différents états de vigilance du nouveau-né est également très
intéressante. On découpe ces états en quatre stades : le sommeil calme, le
sommeil agité, l’éveil calme et l’éveil agité. On comprend alors que la phase
de sommeil agité peut facilement être confondue avec une phase d’éveil, tant le
bébé bouge (mouvements mais aussi expressions du visage).
J’ai
donc dévoré cette première partie très informative et me suis attaquée au
second volet qui s’intitule « Pédiatrie du sommeil ». Il compose
clairement la partie la plus importante (200 pages sur 345). Une longue part
est consacrée aux quatre premiers mois, mais les auteures traitent aussi des
enfants, des ados et de certains cas particuliers comme les terreurs nocturnes,
l’énurésie ou encore l’usage des somnifères. Ce qui a particulièrement retenu
mon attention et fera l’objet de la suite de l’article, c’est tout ce qui
concerne les nourrissons et leurs « problèmes » de sommeil. Tous mes
commentaires au milieu des citations sont entre crochets.
Les pédiatres-auteures commencent par mettre en avant le
sentiment de sécurité nécessaire à l’endormissement. C’est-à-dire pour le bébé :
retrouver les composantes de base de
cette « vie antérieure » [la vie in utero] :
dos arrondi [alors là, je dis
oui !], tête tenue, chaleur, bruits connus d’un cœur contre son
oreille [re-oui !],
odeur maternelle [ouiiiii !], mouvements lents de bercement… (p106)
Limite, je m’attends à ce que
suive un petit encart sur les bienfaits du portage ! Ce n’est pas le cas
mais d’autres conseils avisés ponctuent les pages suivantes : pour
faciliter la période d’arrivée du bébé, il faut que « les parents, ou au
moins la mère, se mettent au même rythme que l’enfant, dormant le jour entre
chaque tétée, vivant à ses côtés, avec le minimum d’activités
extérieures » (p107) ; ou encore « pendant les deux ou trois
premières semaines de vie, en théorie, il ne faudrait réveiller un nouveau-né
sous aucun prétexte. » (p108)
Je me prélasse dans ma lecture si avant-gardiste (de tels
propos dans les années 1980 devaient faire bondir bien des pédiatres et autres
puériculteurs bien intentionnés !) lorsque je tombe sur ce paragraphe page
111 :
Il nous faut réfléchir à nos
comportements devant un bébé qui s’agite dans son sommeil ou qui peine à
s’endormir, et ne pas craindre de le laisser pleurer quelques minutes…
Il est bien plus néfaste de casser le rythme de sommeil d’un tout-petit que de le
laisser pleurer quelques instants sans le consoler […] l’inconfort
créé en retardant l’endormissement est sûrement bien plus désagréable que celui
des hypothétiques 10 grammes de lait dont il aurait besoin…[stupeur dans tout mon être : mais quid de
l’allaitement à la demande ?! des nuits avec bébé ? Je croyais qu’on
allait aborder le cododo, moi !]
Mes yeux parcourent les
lignes suivantes et là, c’est le drame :
… ne pas culpabiliser au moindre cri,
ne pas se précipiter … [blablabla] … lui donner le droit de pleurer un
peu ! [point
d’exclamation inclus dans la citation] … Il faut le laisser
s’endormir seul, sans aucune aide extérieure, même s’il pleure un peu … [blablabla]
… Le prendre dans les bras parce qu’il pleure, c’est lui faire croire qu’il a
raison de pleurer, et que le berceau n’est pas un lieu sûr pour lui…
Avant tout, je rappelle que
tout ça concerne le nourrisson de moins de deux mois, ce qui me
semble extrêmement jeune et … petit. En fait, les auteures partent tout de
suite du principe qu’on confond sommeil de rêve (donc agité) et réveil réel et
que de ce quiproquo découle un enchaînement de sollicitations superficielles de
la part des parents qui entravent le cycle de sommeil du nourrisson et lui font
prendre des mauvaises habitudes, laissant s’installer un « cercle
vicieux » de réveils trop fréquents. C’est cette « escalade de
l’angoisse et des réassurances » qu’il faut éviter à tout prix, quitte à
laisser bébé chialer « un peu » (on notera que le terme
« pleurer » est presque toujours suivi du modérateur « un
peu »).
Ensuite, pour les bébés entre deux et quatre mois, les
auteures parlent du cap des « huit semaines et cinq kilos », qui
permettent au bébé de « tenir » toute la nuit sur ses réserves. Donc
exit l’allaitement à la demande, privilège des vraiment tout-petits. Or, pour
assurer le bon déroulement de l’allaitement, il est néfaste de rationner les
tétées. Non seulement ça mais un bébé qui se manifeste la nuit a besoin de réassurance,
de réconfort ; il a besoin de sentir sa mère toute proche. Le sein
représente bien plus que les calories contenues dans le lait. Bizarre
pour une prétendue spécialiste de l’allaitement de ne parler que de la
dimension alimentaire de la tétée…
Bizarre aussi ce genre de remarque, qui ferait
culpabiliser n’importe quelle mère pratiquant l’allaitement à la demande :
« ne plus lui offrir le sein ou un petit complément de biberon au moindre
pleur, au moindre malaise » (p157) ou encore :
a priori, un enfant de poids normal,
né à terme et qui a bien mangé, que ce soit au sein ou au biberon, n’a pas
besoin d’un autre repas avant deux à quatre heures. Il n’est jamais justifié, passé les premiers jours, [en gras dans le
texte] de lui reproposer à manger au bout d’une demi-heure… Etre
parent ne consiste pas seulement à jouer un rôle nourricier. Il ne suffit pas
de bourrer l’enfant de nourriture pour être une bonne mère… Toute éducation a
quelque chose de frustrant pour l’enfant, mais vise son bien-être personnel.
(p143)
Tiens, en gros, c’est
exactement ce que dit ma belle-soeur : « il faut bien qu’ils
apprennent la vie, hein, ce s’ra pas toujours facile alors autant les habituer
tout de suite, hein ! » (Ba vi !) Là encore, l’allaitement est
en danger : si on commence à rationner dès les premiers mois en comptant
les heures entre chaque tétée, on nie les besoins de son tout-petit. Il n’y a
rien de tel pour faire baisser la lactation… Kathleen Auerbach, spécialiste de
l’allaitement, indique d’ailleurs que les bébés de 2 mois prennent environ 30%
de leur ration alimentaire entre minuit et 8 heures du matin. (citée dans Il fait ses nuits ? Le sommeil normal
du bébé et du jeune enfant, de C-S DidierJean-Jouveau)
Par ailleurs, la petite phrase de la fin, à visée
éducative, n’a pas sa place ici. C’est aussi déplacé que l’infirmière de la
maternité qui me sort, d’un ton réprobateur : « De toutes façons, il
faudra bien qu’elle s’y habitue ! » quand je refuse de laisser ma
fille de 6 heures en pouponnière. Et si c’est pas suffisamment clair, eh ben,
on en remet une couche :
Eviter les frustrations pendant les premiers mois de vie
n’est guère positif
puisque l’enfant n’apprend pas à les accepter, à les surmonter, à en faire une
source d’évolution. Plus tard, confronté à une difficulté, il ne saura que
passivement en souffrir, sans savoir comment la dominer. (p169)
D’où sort cette
théorie ? Ca empeste les relents de freudisme, mais qui croit encore aux
élucubrations de cet homme ? On sait maintenant que l’enfant a besoin d’un
solide socle de confiance en lui pour développer son autonomie et sa
personnalité. Quand on parle de frustration, on ne parle pas des besoins
élémentaires. Or, un bébé de quelques mois ne demande que la satisfaction de
ses besoins vitaux. Ce genre de phrase sous-entend qu’un bébé commence à faire
des caprices et qu’il vaut mieux, pour son bien (grand Dieu oui !
c’est toujours pour son bien !), y couper court tout de suite. Lui apprendre
la vie, quoi. Après tout, la crèche c’est pour bientôt. Puis l’école…
Mais revenons à nos moutons… En fait, au niveau de l’endormissement, il s’avère que le pire du
pire dans cette histoire, toujours selon les auteures-pédiatres, c’est « la
dépendance des bras. » (p128) Traduction : mon bébé ne s’endort que
dans mes bras. Pour éviter cela, il vous suffira, Mesdames, de « mettre fermement
bébé dans son lit et le laisser trouver seul son sommeil. » (p127) Ne vous
inquiétez pas, il a juste « besoin d’avoir le temps de s’endormir en
pleurant pour découvrir ce que c’est, sans être immédiatement
empoigné par des mains trop inquiètes, bienveillantes mais envahissantes. »
(p141) Alors, je pose la question que Mesdames Challamel et Thirion ont
peut-être omis de se poser : vous êtes-vous déjà endormi-e-s, bercé-e-s
par vos propres sanglots ? N’est-ce pas là le summum du bonheur ?
Alors, bas les pattes, vous qui voulez empoigner votre enfant au moindre
cri ! Laissez-le goûter cet endormissement lent et savoureux.
Et si en plus, il se réveille la nuit ? Pas de
problème, nous avons la solution, ma bonne dame !
Espacer les repas de nuit, le faire
patienter en le laissant pleurer et,
s’il est très malheureux, en lui frottant le dos, en lui parlant : le
premier jour le faire attendre une demi-heure, le deuxième une heure, le
troisième deux heures… Cette évolution parait très rapide, mais vous verrez que
l’enfant s’y adapte très bien. (p158)
Traduction : il est
encore bien malléable, facile à dompter, à mater ; il ne posera pas problème bien
longtemps ! Je rappelle ici qu’on est en plein dans le chapitre intitulé
« Les 1001 questions de l’itinéraire-sommeil des quatre premiers mois »,
on a donc toujours affaire à un tout petit bébé. En réalité, même un bébé à qui
on a appris à ne plus réclamer sa mère par des pleurs nocturnes se réveille
plusieurs fois et on a pu mesurer des taux élevés de cortisol, l’hormone du
stress…
Et après ? S’il a plus de quatre mois et nous fait
toujours chier à longueur de soirée et de nuit ? J’en fais quoi, de mon
môme ?
Entre 4 et 6 mois, le problème est
relativement simple [traduction : il est encore facile à manipuler mais ne
tardez pas trop!]… Si l’enfant pleure, il est capital de ne pas
intervenir, de le laisser retrouver seul son sommeil… Que ses cris durent dix
minutes ou une heure, quelle importance ? [Bah oui, quelle importance ?!]
L’enfant qui crie
ne risque rien, [ouf ! là, je
suis soulagée !] ni de s’étouffer, ni de se faire des hernies, [what the
fuck ??? serait-ce une pointe d’ironie mordante ?] ni
aucun autre danger. Il passe simplement un cap pénible [tu m’étonnes !] pour apprendre
quelque chose d’essentiel à son équilibre ultérieur… Il n’est pas question de
craquer sur ce programme d’apprentissage ; pas question de revenir en
arrière parce que l’enfant a réagi trop fort ou a pleuré deux heures d’affilée,
ou trois nuits de suite. [Oh. My. God.] Si les parents sont sûrs d’eux et
tranquilles, nous pouvons les assurer que tout sera réglé en moins de huit
jours et souvent dès la première nuit. [limite elles étaient prêtes à tamponner un
« satisfait ou remboursé » sur la couv’ du bouquin] (pp.
214-16)
Et, heu… le mien, il
a … heu… (j’ai honte) … 9 mois et il fait toujours pas ses nuits… Oui, je sais,
je suis un cas, j’ai cédé à ses appels… C’est grave, docteures ?
Après 6 mois, et à plus forte raison
pour un enfant de 10 ou 12 mois, il est plus difficile d’imposer une méthode
aussi draconienne. [Aïe ! c’est qu’il devient coriace, le bougre !]
L’enfant est habitué, depuis plusieurs mois, à s’endormir dans des conditions
de dépendance [boouh !
pas bien !] et à se réveiller plusieurs fois par nuit. (p 216)
Les auteures préconisent
donc une « approche graduelle », tout un « programme de
rééducation » avec « objet transitionnel »a.k.a. le doudou, pour
faire un joli transfert affectif !
Allez, vous êtes prêts ? Tous à vos montres,
chronomètres et autres pendules ! Here is the programme :
le premier soir, le laisser pleurer
cinq minutes sans rien dire … réassurance très brève sans le toucher, dix
minutes d’attente ensuite, autant de fois qu’il le faudra … le lendemain,
allonger les moments d’attente. Dix minutes la première fois, quinze ensuite
entre les moments de réassurance … le surlendemain, même protocole mais avec
des intervalles encore un peu plus longs, quinze et vingt minutes par exemple…
L’enfant comprend que ce n’est pas la peine de se battre. [Eh oui, c’est la
guerre!] (pp. 217-19)
En fait, c’est ni plus, ni
moins que la méthode de la célèbre Brigitte Langevin, le programme
« 5-10-15 » ! (cf : www.brigittelangevin.com)
Voilà la clé, la solution, le Graal proposé par ce livre !
Pendant toute cette période une fermeté
sans faille est indispensable. L’enfant sentira bien que vous êtes
déterminé dans votre projet et qu’il n’a rien à gagner dans l’escalade
de la bagarre. Par contre, s’il vous sent flotter, nul doute qu’il
soit capable de tenir pendant des nuits entières, plusieurs semaines
d’affilée, jusqu’à ce que vous craquiez. Et il a de fortes chances
de vous
faire céder, s’il vous sent fragile. (p221) [Et voilà un beau champ lexical du
conflit !]
Et enfin, on a gardé le
meilleur pour la fin :
Si, pendant ce programme, l’enfant crie tellement fort qu’il se
fait vomir, [ah wé, quand
même ! il y est allé fort, là !] ouvrez la porte, nettoyez
son lit ou le sol, changez le pyjama sans le gronder, puis, imperturbable, reprenez le schéma où vous l’aviez
laissé, comme si rien ne s’était passé. Votre bambin sentira que ce n’est
vraiment pas la peine d’arriver à une telle extrémité et que l’inconfort est
surtout pour lui. Comme il est très intelligent, il ne reproduira pas un geste
désagréable pour lui et qui vous laisse indifférent. (p 221)
Je vous laisse prendre le
temps de bien
visualiser la scène, de vous en imprégner. Moi, ça me met
terriblement mal à l’aise d’imaginer un truc pareil : une mère froide, ne
répondant pas aux appels désespérés de son enfant, alors même qu’elle lui
change le pyj’ parce qu’il vient de dégobiller à force de chialer !!
Et si je veux pas faire ce genre de trucs inhumains à mon
gosse ?
Refuser ce programme, ne pas vouloir
imposer à l’enfant un changement difficile n’est pas l’aider. Dormir seul … est
un pas immense vers l’autonomie. L’autonomie, condition majeure de toute
évolution, est un besoin. Le désir de l’enfant … tend plutôt à ne pas se
bousculer, à maintenir un système dont les avantages sont connus, alors que ceux
du changement sont hypothétiques. (p224)
Tout cela est bien entendu
faux. La théorie de l’attachement de John Bowlby montre qu’un enfant a besoin
d’une base de sécurité, donnée par une figure d’attachement qui sera proche de
lui dans les situations stressantes. Ce n’est pas le fait d’imposer des
horaires de coucher fixes ou tout un « programme » de sommeil à base
de frustrations qui va donner cette base sécurisante à l’enfant ; c’est la
présence de sa figure d’attachement primaire, en général sa maman ou son papa,
le fait qu’ils répondent à ses besoins de manière bienveillante et
respectueuse. Cette théorie n’est pas nouvelle et elle se développait déjà dans
les pays anglo-saxons quand ce livre est paru. Aujourd’hui, Isabelle Filliozat
l’illustre par la théorie du porte-avion : la mère est comme un
porte-avion vers lequel le bébé se tourne lorsqu’il y a besoin
d’approvisionnement (en lait, en câlin, etc…). Petit à petit, constatant que la
maman répond toujours présente, l’enfant va prendre son envol, explorer de plus
en plus loin et de plus en plus longtemps. Ce n’est absolument pas un frein à
son développement ni à son autonomie que de répondre à ses demandes nocturnes,
bien au contraire.
Mais non, les auteures préfèrent culpabiliser les parents
sur le long terme, en leur laissant
deviner toutes les conséquences horribles que leurs actes de tendresse
irréfléchis, instinctuels pourraient avoir, n’hésitant pas à prédire à l’enfant
un futur merdique. Voyez ce genre de paragraphe bien vicelard :
Pour aider l’enfant, il faut lui
donner le temps de sentir vraiment en lui ce qu’il ressent, puis les moyens de
l’exprimer. Trop de parents réagissent très vite à la demande d’un bébé,
devancent même son appel, croyant anticiper ses besoins et lui éviter d’en
souffrir… Si chaque fois qu’un bébé pleure on lui propose à manger, il mélange
tout, se dit qu’il avait probablement faim « quand même » puisque les
parents qu’il aime lui ont apporté à manger, et il oublie de dire avec ses
moyens à lui qu’il avait envie d’aller se promener ou de changer de position
dans son berceau. A la longue il ne prendra plus la peine de rechercher en lui
ses propres perceptions, il se fiera à son entourage pour analyser ce qui se
passe en lui, devenant ainsi totalement dépendant pour se connaître lui-même,
passif devant ses propres désirs qu’il ne contrôle plus et dont il ne saura pas
jouer… Sentez-vous à quel point se joue là la réussite ou le repli d’une
personnalité ? (pp. 171-2)
On imagine déjà le futur
Tanguy en puissance, accroché aux bask’ de ses vieux !
Je voulais juste mettre tout ça en parallèle avec le
passage du livre The continuum concept de
Jean Liedloff dans lequel elle dépeint le point de vue du bébé qui pleure seul
dans son lit :
He
awakes in a mindless terror of the silence, the motionlessness. He screams. …He listens… Nothing
helps. It is unbearable…Then he falls asleep again… When he awakens he is in
hell. No memory, no hope … bleak purgatory. Hours pass and days and nights. He screams,
tires, sleeps…. The infant’s screams fade to quavering wails. As no response is
forthcoming, the motive power of the signal loses itself in the confusion of
barren emptiness where the relief ought, long since, to have arrived… Between
eternities looking at the bars and wall, there are other eternities that take
in both sets of side bars and the distant ceiling. (pp. 62-5)
Ma traduction: Il [le bébé] se
réveille dans la terreur abrutissante du silence, de l’immobilité. Il crie … il
écoute… Rien ne l’aide. C’est insupportable… Puis, il se rendort… Quand il se
réveille, il vit un enfer. Pas de mémoire, pas d’espoir… un purgatoire sans
fin. Les heures passent, puis les jours et les nuits. Il crie, se fatigue,
dort… Les cris du bébé se réduisent à des gémissements tremblotants. Comme
aucune réponse n’arrive, la force motrice de ce signal d’appel se perd dans la
confusion du vide stérile à la place du soulagement qui aurait dû arriver
depuis longtemps… Entre des éternités passées à regarder les barreaux [de son
lit-cage] et le mur, il y a d’autres éternités comprenant les deux rangées de
barreaux et le plafond lointain.
Bon, à côté de ça, les auteures disent quelques trucs
bien aussi, j’avoue. Des informations que j’ai trouvées pertinentes ou des
points de vue que j’ai jugés intéressants. En vrac :
- ne pas menacer un enfant
d’aller au lit, mettre en pratique une « éducation positive, sans menace ni chantage » (p180)
- le système scolaire aberrant
ne respecte pas les rythmes saisonniers et quotidiens des enfants : « en
vacances prolongées dans les périodes de meilleur rendement intellectuel et de
moindre besoin en sommeil ». (p198)
- l’adolescent a besoin de
plus d’heures de sommeil (hypersomnie physiologique). « Cette augmentation
du temps de sommeil fait souvent dire aux parents ou aux enseignants que les
adolescents sont paresseux, alors qu’il s’agit d’un authentique besoin
neurophysiologique, lié à la puberté. » (p20 : 1)
- les cauchemars et les
terreurs nocturnes sont parfois difficiles à différencier par les parents, qui
ne savent pas comment réagir. Voilà un petit tableau récapitulatif :
CAUCHEMAR
|
TERREUR
NOCTURNE
|
Survient en deuxième partie de nuit
|
Survient
dans les premières heures de la nuit
|
Cris
et frayeur persistant après le plein réveil
|
Enfant
agité, confus, bizarre. Les signes disparaissent dès que l’enfant s’éveille
pleinement.
|
Réassurance
des parents indispensable. L’enfant s’accroche à ses parents.
|
Enfant
non conscient de la présence de ses parents
|
Retour
au sommeil peut-être difficile car la peur persiste
|
Se
recouche rapidement et sans difficulté
|
Le
lendemain, description du cauchemar
|
Le
lendemain, aucun souvenir
|
- donner des somnifères « c’est un peu
comme si, à un enfant qui réclame à manger, on donnait un anorexigène, un
médicament coupe-faim… Les somnifères sont de véritables matraques
chimiques. » (p280) Et pourtant, une étude a montré que 70% des bébés
avalent des somnifères ou des sédatifs avant l’âge de 3 mois et 16% d’entre eux
en prennent régulièrement à l’âge de 9 mois. (Ces chiffres me paraissent tout
bonnement hallucinants et j’aimerais avoir des données d’actualité sur le
sujet.)
Donc, pour finir, je me dis que mes parents venaient
peut-être juste de lire ce livre plein de bons conseils quand ils m’ont laissée
pleurer toute une nuit vers l’âge de deux ans (en fait, c’était surtout suite à
une visite chez le pédiatre, qui n’a fait que corroborer tous les propos des
auteures). En gros, ils n’en pouvaient plus de se lever ; j’inventais
n’importe quel prétexte pour les faire venir et/ou pour finir la nuit dans leur lit, moi qui, à
deux ans, avait déjà un petit frère d’un an. Donc, cette fameuse nuit, j’ai
pleuré. J’ai hurlé jusqu’à ne plus en pouvoir. J’ai pleuré de vraies larmes.
J’ai inventé toutes les excuses possibles. J’ai hurlé, hurlé, hurlé jusqu’à
m’endormir d’épuisement. Et le lendemain, toujours sur les conseils du
pédiatre, ils ont dit « Ah ! On a bien dormi cette nuit ! » et je leur ai lancé un regard noir. Je sais
tout ça parce que c’est une anecdote familiale maintes fois racontée pour montrer
à quel point j’ai du « caractère », je suppose. A chaque fois, ma
mère insiste bien sur le mot « noir » dans l’expression « un
regard noir ». C’est une histoire que mes parents racontent avec un sourire
complice, comme si c’était un bon souvenir. Du jour où j’ai commencé à
comprendre la vie, la vraie.
***
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